Air du temps

Le temps des fossés

publié le 18/12/2017

Contre la société divisée et discriminante : cultiver les ressemblances au lieu de souffler sur les braises des différences.

Le temps des fossés

« Le vrai problème est l’échec de la France blanche et chrétienne à considérer les Français à la peau sombre et musulmans comme des citoyens à part entière » notait Craig Stapleton, ambassadeur des Etats-Unis en France, dans un mémo du 9 novembre 2005 révélé par Wikileaks. L’analyse aurait du rester secrète, elle vient quoi qu’il en soit d’être confirmée au grand jour, dans les urnes. Glané sur un forum internet, parmi des dizaines d’autres apostrophes de la même veine : « la France ne veut pas devenir le Maghreb ». Une bonne partie de l’ électorat s’interroge à voix haute. Autant sur la place que prend la culture islamique dans le pays que sur ce qui menacerait son identité vécue comme chrétienne et européenne. C’est l’un des messages qui sort du vote massif en faveur de Marine Le Pen. De ce côté-là, le diagnostic est exactement inverse de celui de l’ambassadeur américain : tout le monde - français ou étrangers - étant mis dans le même panier, c’est la France « d’origine immigrée » ou « visiblement musulmane », selon les nouveaux vocables apparus ces derniers temps dans le discours politique ou médiatique, qui serait récalcitrante au processus « d’intégration ». L’heure n’est plus à débattre de qui a tort ou raison, mais à s’inquiéter : la société française est face à un risque d’affaiblissement si elle ne parvient à améliorer les rapports avec ses minorités. « Elle pourrait alors s’affaiblir, être plus divisée, peut-être encline à des crises et repliée sur elle même » estime un autre diplomate américain.
Le cercle vicieux est engagé. Les « Français de souche » se sentent envahis par l’Islam et le rejettent. Mis à l’index, les musulmans se raidissent. Et vice versa.
Sortie possible : recréer un socle de références communes, cultiver les ressemblances au lieu de souffler sur les braises des différences. On pense en priorité à la laïcité pour y parvenir. Ecueil à contourner : en France, celle-ci est devenue une culture, celle de la religion à la maison et de l’absence d’étalage de ses convictions religieuses. Revenir à l’essentiel dans ce domaine, c’est s’appuyer à nouveau sur la laïcité comme un cadre juridique opposable à tous, pas comme une référence culturelle. La laïcité est d’abord un ensemble de loi, conçues pour garantir qu’aucune croyance, et même philosophie, des uns ne puissent s’imposer aux autres tout en assurant à chacun la liberté de ses convictions. Ce qui ne signifie pas de ne pas avoir à traiter, par ailleurs, les frictions culturelles. Pour, comme le dit la sociologue Dounia Bouzar « que les gens continuent à manger, à travailler, à transpirer ensemble ». La laïcité ne doit pas être davantage un cache misère des problèmes socio-économique qui exacerbent les tensions. Dénoncer le communautarisme n’a de sens que si l’on combat en même temps ce qui l’alimente. Dans le ghetto français Eric Maurin fait le portrait d’une France morcelée et démontre que ce ne sont pas les pauvres qui décident de s’isoler mais les riches qui préfèrent s’en éloigner. Une logique évidente après coup puisque ce choix appartient à ceux qui en ont les moyens, mais que ceux qui vivent du fond de commerce consistant faire danser les bouc émissaires sous les yeux des électeurs se gardent bien d’évoquer.
Première publication sous ma plume dans le Nouvel Economiste