Analyse
Bio économie et spiritualité

L'effet Pape

publié le 30/06/2015

Après l'encyclique, on peut être vert sans être communiss'

L'effet Pape

C’est « le patron des écologistes » titre un article du monde des Livres (19 /05) consacré à St François d’Assise, chantre, au 12ème siècle, de la sobriété et de l’élévation spirituelle procurée par la nature. Il y a quelques années encore, cette référence à une figure religieuse aurait hérissé les  « verts » et fait sourire les autres, au nom du principe de laïcité. Moins aujourd’hui, et c’est le signe d’une vraie rupture : l’acceptation d’une dimension spirituelle distincte de la religion promettant d’y donner accès, et son importance comme vecteur de diffusion de la prise de conscience environnementale. Et puis voilà qu'à présent le Pape lui-même s'y met. On va pouvoir juger de la capacité du pouvoir spirituel à agir sur le sentiment humain d'appartenir à la maison commune connue sous le nom de "planète terre". L’enquête sur les « créatifs culturels » initiée en 2000 aux Etats-Unis par deux sociologues Paul H Ray et Sherry Ruth Anderson et qui se diffuse depuis de pays en pays avait commencé à identifier cette tendance. Cette étude d’opinion concluait à l’existence dans la population américaine d’un groupe de 50 millions de personnes unies par une sensibilité susceptible d’en faire les acteurs d’un changement profond de société, notamment dans le domaine du rapport à l’environnement. Cette culture nouvelle partagée par 15 à 20 % de la population (proportion stable dans tous les pays étudiés) serait le trait commun d’individus qui « prônent une consommation responsable et sont préoccupés par l’avenir de la planète ». Pour changer le cours des événements, ces personnes afficheraient un intérêt pour le développement personnel (se changer soi-même), un engagement dans l’action et une attirance pour la spiritualité. « Au sens large » précisent les responsables de l’étude en France. Précision importante, car l’obstacle qui a sans doute retardé l’émergence de cette nouvelle conscience est la confusion fréquente entre la spiritualité, questionnement intime sur le sens de la vie, et les différents véhicules qui se proposent d’y apporter des réponses : les religions. « La spiritualité est une émotion racine, un sentiment qui habite tout être humain au même titre que l’amour, la joie ou la tristesse » considère l’éditeur Marc de Smedt qui co-dirige la collection « Espaces libres » d’Albin Michel consacrée à ce sujet. « Les religions ne sont qu’un outil pour accéder à la spiritualité. D'où l'expression de spiritualité laïque pour ceux qui cultivent ce sentiment en dehors des croyances ou des pratiques religieuses » ajoute-t-il.

Cercle vertueux


Une partie des protecteurs de l’environnement qui ont réussi à vaincre ce tabou ont compris ce que cette notion peut leur apporter. On en trouve un avant-goût dans « Ecologie et spiritualité », publié en 2002 chez Albin Michel. L’ouvrage se proposait d’identifier une nouvelle conscience écologique et spirituelle favorisant un nouveau rapport à l‘environnement dans les écrits d’une vingtaine d’auteurs français et étrangers, philosophes (André comte Sponville), religieux (Mgr René Costes, Abdelrim Bekri), écrivains (Pierre Rabhi), scientifiques (Albert Jacquard), …

" le sentiment spirituel serait propice à la protection de l’environnement "

« La jonction se fait au niveau de ce sentiment « océanique » auquel on pourrait associer la spiritualité et la capacité de la nature à l’alimenter » poursuit Marc de Smedt en imaginant une sorte de cercle vertueux. Celui-ci commence, selon lui, par une phase de dépollution, des paysages comme des esprits. « En protégeant l’environnement on préserve aussi une certaine capacité d’émerveillement face au milieu naturel qui redonne toute sa place au sentiment spirituel » affirme-t-il. «  Se mettre au contact de cette énergie considérable qui nous permet de nous ressourcer est aussi une manière de défendre notre part spirituelle menacée par toutes les distractions, pressions, et stress divers de ce monde». On voit se dessiner l’enchaînement favorable : un sentiment spirituel bien soigné ferait des individus plus disposés à protéger la nature qui, elle-même, nourrit leur quête de sens. Bref, le sentiment spirituel serait propice à la protection de l’environnement. "Aucune solution technique ne suffira à changer le monde si la représentation et le sens que l'humain doit lui donner ne change pas" considère, à l’inverse, l'écrivain Pierre Rabhi dans « Conscience et environnement » (Le relié, poche).

Passif religieux


Qu’en disent les professionnels ? Le bouddhisme est souvent cité comme la spiritualité écologiste par excellence, avec son principe fondateur d’interconnexion générale de toute chose et de tout être vivant.

”Toutes les religions expriment une position sur les rapports entre l’homme et son environnement ”

Les bouddhistes, comme le moine zen Jacques Brosse, décédé en 2008, rejettent les prises de position d’un Descartes annonçant que « grâce à la science, l’homme sera désormais le maître et le possesseur de l’univers ». "Cela n’a pas empêché d’éviter des destructions de l’environnement massives dans des pays à majorité bouddhiste en Asie » note Marc de Smedt. Les dynamiques du capitalisme sont passées par là. Ou alors, les autorités religieuses n’ont pas fait leur travail de sensibilisation. Toutes les religions expriment une position sur les rapports entre l’homme et son environnement. Pour le meilleur et pour le pire. Le passage bien connu de la génèse où Yahvé dit à Noé et ses fils après le déluge « Soyez la crainte de tous le animaux de la terre (…) ils sont livrés entre vos mains » fait frémir les défenseur du Grand tout. Le coran commande, plus délicatement : « Ne faites pas de nuisance à la terre alors qu’elle a été mise en ordre par Dieu ». Mais Tod Hayden, le sénateur démocrate américain cité par François Mazure, dans un essai sur le XIème commandement qui consisterait à redonner un caractère sacré à la Terre, renvoie tout le monde dos à dos : la crise actuelle de l’environnement aurait des racines qui remontent à l’époque où les religions monothéistes ont remplacé les anciens cultes de la nature, centrés sur l’adoration de la terre mère, enseignant aux humains à se sentir supérieurs à la nature.

Polémique sur le principe de nature sacrée


Ces préceptes sont peut-être passés dans l’inconscient collectif mais les autorités religieuses conservent une marge de manœuvre vis à vis de leur fidèle. Il y a quelques années, l’Ong de protection de l’environnement WWF était parvenu à mettre sur pied un partenariat inédit avec des représentants de 11 des principales religions du monde autour d’un « cadeau sacré ».

"Les déclarations visant à sanctuariser la nature suscitent toujours des levées de bouclier "

L’église méthodiste américaine s’engageait à placer sa trésorerie dans un fond d’investissement éthique tandis que l’association taoïste de Chine (40 millions d’adhérents) appelait ses membres à renoncer à toute utilisation d’espèces protégées dans les préparations de médecine traditionnelle et que l’épiscopat français annonçait son intention de nommer un Monsieur environnement. Mais les grandes prises de positions restent bien en deça de ce qui serait possible de faire comme le montre la récente visite du pape en Afrique et son silence sur le pillage environnemental du continent. C’est que les déclarations visant à sanctuariser la nature suscitent toujours des levées de bouclier, au nom de l’urgence politique ou d’intérêts économiques. Comme si, encore une fois, les uns ne dépendaient pas de l’autre.

Jacques Secondi #spitualité #écologie