QUESTIONS STRATEGIQUES
Henryk Klaba, président d'OVH

Pouvoir horizontal vs complexité

publié le 06/07/2015

Le président d'OVH préconise le pouvoir partagé pour survivre dans la complexité du nouveau monde.

Pouvoir horizontal vs complexité

L'histoire commence à être connue tant elle ressemble à celle d'une comète, c'est à dire à un phénomène rare. C'est celle d'une société croissant au rythme de 35 à 40 % par an devenue en quinze ans un acteur de taille mondiale dans un secteur, et c'est là que réside la singularité de l'aventure, trusté par les géants américains Google et Amazon. Le boulevard sur lequel évolue OVH est large. Ce spécialiste de l’hébergement de données informatiques, l'acronyme de son nom signifie « on vous héberge », bénéficie de l’essor du Web et de ses besoins toujours croissant de capacités de stockage. Il a aussi le bon produit : moins cher que ce qu'offre la concurrence quitte à demander à ses clients de s'impliquer davantage dans la technique. Le président explique aussi le succès d'OVH par l'adaptation aux conditions de l'époque : en quête d'expériences nouvelles de management et prêt à déléguer ou à partager le pouvoir pour faire face à la nouvelle complexité du monde.

“Notre force principale repose sur l'innovation. Nous sommes actuellement la seule société européenne à travailler avec l'américain Cisco sur un nouveau type de routeur qui va fortement augmenter les capacités à travailler en « cloud computing ». Dans ce registre de solutions nous nous situons sur la pointe du développement de l'internet, à un point où il nous est très difficile de prévoir les évolutions futures que génèreront les solutions nouvelles auxquelles nous participons, tant le saut technologique est important. Le cloud computing va-t-il tout dominer et provoquer la disparition de tout ce qui existait auparavant ? Impossible à prévoir. « l'accélération générée par les nouvelles technologies démocratise le monde décisionnel en même temps qu'augmente la difficulté à gérer »De la même manière que Apple, en mettant l'iphone sur le marché, ne pouvait anticiper tous les développements sur lesquels son nouvel outil a débouché. L'avantage offert est technique et technologique, il repose aussi sur un couple prix performance très attrayant, en nous adressant aux clients professionnels dont les compétences techniques sont plus élevées que celles requises par les produits offerts par nos concurrents.

Nouveaux équilibres mondiaux


Le monde est dominé par les Etats-Unis, c'est une constante et cela le restera. Les perspectives de l'Europe sont incertaines. Est-on capable de créer en Europe une stratégie cohérente, acceptée par tous ? On peut avoir des doutes. Exemple : la Pologne préfère collaborer avec les Etats-Unis plutôt qu'avec l'Europe. Ce pays achète ses avions aux Etats-Unis. Comment dans ses conditions avoir l'espoir de développer une stratégie européenne ?
Concurrencer Amazon ou Google ? Il n'y a pas d'inhibition à avoir. Si votre société a des produits de bonne qualité à un bon prix, il faut se lancer. Après, tout dépend de vos ambitions. Les nôtres sont de devenir numéro un mondial. Pour cela, il faut investir le territoire des Etats-Unis, même si c'est celui du lion. Il ne devrait pas y avoir de difficultés à trouver notre place sur le marché américain. Les Nord-Américains, Etats-Unis ou Canada ont compris que la gamme de serveurs et des services associés que nous proposons n'existe pas chez nos concurrents sur le territoire Nord-américain. Nos ambitions outre-Atlantique ne devraient donc pas donner à une bataille frontale pour la survie entre nous-mêmes et d'autres acteurs du fait de cette complémentarité.

Réalité du monde plat


Nous pourrions nous poser la question de vendre plus cher aux Etats-Unis tant la marge de manœuvre dont nous disposons face à nos concurrents est importante. Notre offre demande une plus grande compétence du client par rapport à ce qui est requis par les produits proposés par la concurrence. Cela nous permet d'offrir des prix plus bas. Avec des capacités dans certaines parties meilleures que celles de nos rivaux, et les performances spécifiques offertes par le refroidissement liquide et l'architecture originale de nos data centers. Nos clients américains s'étonnent que nous puissions être deux à trois moins chers que la concurrence. Pourquoi ne pas relever les prix  ? C'est notre politique générale de ne pas discriminer les clients américains en face des Européens, parce que nous sommes désormais dans un monde complètement ouvert, où tout communique. Nous appliquons donc les mêmes prix partout, sauf à pouvoir justifier d'un facteur de coût différent en fonction des destinations.

Nécessité de coopérer


La fonction décisionnelle des entreprises est profondément bouleversée par la révolution technologique. Il n'y a pas si longtemps, nous n'avions que le téléphone et, pour diffuser l'information nous passions par le biais d'une personne maitrisant la dactylographie. La vie du dirigeant était rythmé par celle du courrier quotidien auquel on pouvait prendre son temps pour répondre. Le fax a représenté une première accélération. Aujourd'hui nous sommes constamment bombardés d'énormes quantités d'informations.

"« l'accélération générée par les nouvelles technologies démocratise le monde décisionnel en même temps qu'augmente la difficulté à gérer »"

Pour cette raison, la révolution numérique a créé l'impérieuse nécessité de diriger à plusieurs personnes aussi compétentes les unes que les autres, au même niveau décisionnaire, car il est devenu impossible de concentrer sur une seule personne ces énormes masses d'informations. Il faut donc s'entourer de gens compétentes et en même temps cela signifie de pouvoir avoir un très haut degré de confiance dans ces personnes. On peut donc considérer que l'accélération générée par les nouvelles technologies démocratise le monde décisionnel en même temps qu'augmente la difficulté à gérer. Sur ce point, on constate que beaucoup de société ne s'adaptent pas, avec des dirigeants qui continuent à concentrer sur eux tout le pouvoir. Ils vont avoir des difficultés.

Expérimentation managériale


Nous embauchons environ 150 personnes par an. Cela représente entre 3 et 9 personnes chaque semaine accueillies du fond du coeur. C'est le rôle du dirigeant de leur expliquer nos principes, au cours de ce que nous avons baptisé la « messe » du lundi. On donne au nouvel entrant un crédit confiance. Cela suppose de respecter un règlement intérieur et que, en contrepartie, tout lui est ouvert et accessible dans la société, avec la perspective affirmée à chacun de pourvoir se développer professionnellement et d'évoluer dans la société. Un deuxième axe privilégié est celui de la reconnaissance professionnelle : un succès professionnel, repéré avant tout par les collègues de l'intéressé, est reconnu ensuite sous forme de salaire par la direction. Chez nous les salaires ne se négocient pas, car la négociation implique un gagnant et un perdant.  Les gens doivent être payés de façons juste en fonction d'une grille de salaire et augmentés en fonction de leur réussite et de leurs efforts. En termes d'écarts de salaire, nous sommes en dessous des maximums préconisés par Jean-Luc Mélenchon.

Entreprise et intérêt général


La question de l'implication des entreprises dans l'intérêt général est passionnante.

"«  C'est notre politique générale de ne pas discriminer les clients américains en face des Européens, parce que nous sommes désormais dans un monde complètement ouvert, où tout communique »"

Prenons le chômage par exemple. Comme dirigeant d'entreprise, pas comme citoyen bien entendu, le chômage n'est pas mon problème. C'est une question politique. Lorsque les gens au pouvoir en revanche ne comprennent pas que la solution contre le chômage c'est l'entreprise, cela me pose un problème, comme dirigeant et comme citoyen”.


Son histoire
Henryk Klaba a eu une première vie en Pologne communiste où il était ingénieur en mécanique dans une ferme collective de l'Ouest du pays. Il en garde une méfiance instinctive à l'égard de la bureaucratie et des syndicats dont il dénonce le mauvais esprit sans peur du politiquement incorrect Il s'installe en France, avec sa famille, en 1990, employé par le producteur de matériel de BTP Case-Poclain. Plus tard, il suit Octave, son fils ainé féru d'informatique dans la création d'OVH. Parmi ses intuitions : se lancer lui-même dans la fabrication de ses propres serveurs pour ne retenir que les fonctionnalités utiles à son offre.


Quelques chiffres
700 salariés
700 000 clients
150 000 serveurs en service
200 millions d'euros de chiffre d'affaires (3ème rang mondial dans l'hébergement internet derrière Amazon et Google, classement Netcraft 2012)

Jacques Secondi Tags OVH Nouveau monde Pouvoir management