"Ere" du temps

Stop-rewind

publié le 11/12/2017

Quand le temps et les changements s'accélèrent, il s'agit de rester réversible. Exemple avec le Grand Paris.

Stop-rewind On arrête et on recommence

Sur le campus de Condorcet, à Aubervilliers (Seine-St-Denis), le futur Grand équipement documentaire (GED), une sorte de bibliothèque, est pensé pour pouvoir se transformer dans le temps. L'auteur du dessin, l'architecte Elisabeth de Portzamparc, a imaginé des dispositifs permettant de couvrir les terrasses qui ainsi, dans dix, vingt ou trente ans, pourront accueillir, des extensions de la construction d'origine. « Le bâtiment contient en lui son évolution future » commente l'agence, en mettant ainsi en avant une approche encore peu développée. Et pourtant, l’idée et ses déclinaisons, la réversibilité, la recyclabilité, la modularité, cachent des enjeux majeurs à l'aube de la révolution urbaine que s'apprête à traverser la région parisienne. Un Grand Paris plus souple et moins coûteux à faire évoluer est un gage d'attractivité, autant pour les investisseurs que pour les contribuables.

Digestion urbaine


Au fil de leur développement, les villes se transforment en profondeur, même si le processus peut-être long. Un parisien du 12ème siècle n’aurait pas imaginé que la puissante muraille de Philippe II Auguste deviendrait un jour le mur du fonds de la pizzeria située au numéro 32 de la rue St Paul, dans le quatrième arrondissement de Paris. Pourtant, le temps et l'évolution des usages ont fait leur œuvre et, l’ancienne enceinte défensive de première importance a été totalement digérée par la ville. Quelques siècles plus tard, le Grand Paris en est exactement à l'un de ces moments clés de l'histoire des métropoles où de nouveau équipements structurant le très long terme en remplacent d'autres appelés à disparaître parce qu’ils se révèlent soudain inutiles. L'exemple flagrant est le boulevard périphérique, d'ores et déjà anachronique par le flot gigantesque de voitures fumantes et pétaradantes qu'il fait transiter aussi près de l'hyper centre, à 5 kilomètres de Notre Dame, un cas unique désormais en Europe. Mais il y a une différence importante avec l'époque de Philippe Auguste . Il suffisait de démonter la muraille ou de l'intégrer dans de nouvelles constructions. C’est beaucoup plus compliqué avec une barrière comme celle du périphérique. La haute recyclabilité est restée valable jusqu'au début du 20ème siècle pour disparaître presque totalement avec les structures en béton.


Coupures et émiettement


Le défi du Grand Paris aujourd’hui est donc à la fois d'intégrer les erreurs du passé et de ne pas en commettre de nouvelles à l'avenir. Le grand dessein pour la région consiste à substituer à un modèle ultra centralisé sur l' intra-muros, une galaxie de pôles urbains -autour des 68 nouvelles gares- concurrents de l'astre central, tout en créant de la mobilité -avec les 200 kilomètres de lignes nouvelles- pour mettre en tension ce nouvel espace. L'héritage historique tend à s'y opposer. «Le modèle s'est construit à travers les liens entre la capitale et le reste du pays ou de l'Europe au détriment du territoire des villes environnantes » rappelle Elisabeth de Portzamparc. L'île de France est pour ainsi dire lacérée par des axes de circulation qui ont créé des territoires en miettes, derrière des barrières routière ou ferroviaire infranchissables. Le propos du Grand Paris est de recoudre tout cela et de passer à ce que l'architecte désigne comme « un urbanisme du sol ».

Recycler plutôt que détruire


Mais que faire des millions de tonnes de béton et d'asphaltes accumulés ? Quant il s'agit d'un viaduc autoroutier, l'effacement, sur le modèle des dynamitages controversés de barres d'immeubles, devient inimaginable compte tenu des coûts. C'est là où un changement de regard peut s'avérer utile. Ce qui semble indestructible est peut-être recyclable, suggère l'architecte Philippe Gazeau qui à la suite de l'urbaniste Paul Lecroart, mène une réflexion sur la reconquête du boulevard circulaire. Son « habiter le périphérique », avec Louis Paillard, propose tout simplement de transformer l'étouffant anneau d'asphalte en un nouvel espace de vie réparti entre logements et de multiples espaces verts. D'un coup, « l'égout à voitures » se métamorphoserait en une magnifique opportunité, mieux, sur 35 kilomètres, que les 5 kilomètres prestigieux de la « high line » new-yorkaise, ce parc urbain suspendu aménagé sur d'anciennes voies ferrées. « C'est l'endroit idéal où introduire de la vie, du vert et des logements par dizaines de milliers, dans la mesure où tout le reste, transports publics, hôpitaux, terrains de sport, sites culturels, existe déjà » poursuit l'architecte.

La réversibilité au cœur des projets


Pour l'avenir, le progrès décisif serait d'inclure la réversibilité au cœur des projets. L’agence de Portzamparc met cette fois en avant son projet pour la gare du Bourget. « Elle a été prévue pour s'étendre au sol afin d’englober dans l'avenir d'autres moyens de transports comme le RER B, et éventuellement évoluer en hub » commente sa fondatrice. Il faut voir large, selon elle, des évolutions des modes de vie et des usages, et jusqu'aux changements climatiques, avec des bâtiments en ventilation naturelle capables de s'adapter un jour à la hausse des températures sans investissements supplémentaires massifs.

La page blanche du cahier des charges


Une marche en dessous des grands équipements, la construction immobilière se retrouve confrontée aux mêmes logiques. L'investisseur La Française mise par exemple sur un facteur polyvalence pour tenir compte de l'apparition de nouvelles formes de travail, avec beaucoup plus d'indépendants et de petites entreprises dont les besoins évoluent très vite. Dans cette approche, un parking doit un jour pouvoir évoluer en lieu d'habitation ou de travail. L'enjeu est de prévenir la réapparition de déserts urbains, où des construction à usage unique ne trouvent plus preneurs lorsque les besoins changent. Le paradoxe reste que les appels d'offre n'abordent pas la question. « Il n'y a rien dans les cahiers des charges qui nous oblige à penser la réversibilité » témoigne Elisabeth de Portzamparc. C'est peut-être là le prochain progrès à accomplir, sur le modèle des jeux Olympiques, lorsqu'ils parviennent à assurer une seconde vie à leurs équipements.

Première publication : dans le Nouvel Economiste.


Chronique du nouveau monde